Deux âmes qui déambulent dans la forêt [Nitsa / Elriane]

C'était un après-midi gris du début du printemps. Nitsa était partie chasser dès le lever du jour. Elle faisait ça les jours où aucun travail ne lui était confié. Cela lui permettait ainsi de se nourrir mais également d'échanger sa viande contre des biens de valeur égale comme des légumes ou un service quelconque.
L'endroit de la forêt dans lequel la jeune fille se trouvait à présent était truffé de pièges. C'était d'autres chasseurs qui les mettaient afin d'attraper les animaux qui passaient là. Ces pièges ne les tuaient pas sur le champ, la plupart du temps les animaux agonisaient plusieurs heures voir plusieurs jours avant de rendre leur dernier souffle.
Plus jeune, lorsqu'elle vivait dans la forêt, Nitsa c'était un jour fait prendre dans l'un des ces pièges. Elle avait passé un long moment à essayer de s'en échapper passant de sa forme animal à sa forme humaine sans savoir laquelle était la plus pratique. Elle avait fini par s'en échapper mais cette saletée de piège lui avait brisé l'os et elle en gardait aujourd'hui encore une énorme cicatrice.
Quand elle s'enfonçait dans cet endroit de la forêt, elle restait donc dans les arbres, sautant de branches en branches sans aucune difficulté grâce à son pouvoir. Si elle chassait ici, elle le faisait seulement dans les arbres. De tout manière, il n'y avait que peu d'animaux, c'était après, plus loin dans la forêt là où la plupart des gens n'allaient pas et là où il y avait sans doute le plus de proies qu'elle allait. Elle pourrait ainsi chassant tranquillement.
Avant d'avoir atteint cet endroit, Nitsa entendit un craquement. Étrange... Elle partit tout de même en direction du bruit. Qui sait, sans doute un lapin et elle n'allait pas cracher dessus.
Elle s'arrêta sur une branche d'arbre, au dessus de la source du bruit qu'elle avait entendu et ce qu'elle découvrit n'avait pas grand chose à voir avec un lapin.
C'était une jeune fille dont elle n'aurait su déterminer l'âge exacte.
Nitsa reprit sa forme humaine à l'exception de sa queue qui lui servait de contre poids alors qu'elle s'était assise sur la branche où elle s'était arrêtée.
Elle se pencha dans la direction de la personne et lança :
"Hey toi! C'est dangereux ici, il y a des pièges. Tu ferais mieux de ne pas rester là. "


Elriane tremblait. Ce n’était pas quelque chose d’exceptionnel en soit, mais les circonstances qui l’avaient amené à avoir peur étaient, elles, particulières. En effet, la jeune fille avait voulu apprendre des choses, donc elle s’était mis en tête d’explorer quelque peu les environs... Malheureusement, ce lieu se résumait à une grande forêt et plus elle s’avançait, et plus elle se rendait compte qu’elle se perdait. Elle, avec sa mémoire parfaite, avait réussi à se perdre. Sans doute un autre piège de ce monde extérieur, pensa-t-elle amèrement. Après tout, qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? Elle marchait, continuait de s’aventurer maladroitement entre les arbres et les fourrés. Il allait peut-être bientôt falloir penser à rentrer, songea-t-elle, néanmoins sans faire demi-tour. Soudain, elle vit quelque chose d’étrange sur le sol, qui ressemblait à s’y méprendre à des dents en fer. Elle s’approcha, inspecta l’objet qui n’avait rien à faire là, puis tendit la main pour le toucher... mais fut interrompue par une voix derrière elle, qui lui disait de se méfier. Dans un sursaut, elle se releva et trébucha. Elle s’éloignait de l’inconnu lorsqu’une douleur atroce lui traversa le mollet, lui arrachant un petit cri. Elle pesta et se retourna. C’étaient les dents en fer qui lui retenaient le pied. Elle se sentit soudain piégée : elle ne pouvait plus bouger la jambe droite, et une humaine la dévisageait de haut. Elle fit une légère prière à ses parents, avec de sangloter :
- Ne... Ne me tue pas, s’il te plaît...

Apparemment son avertissement eu l'effet inverse de celui escompté. En effet la jeune fille qui se trouvait en dessous d'elle sursauta à son appel et tomba droit vers le piège. Elle était à présent à terre alors que Nitsa toujours perchée sur sa branche la regardait, le visage aussi neutre que d'habitude. Même en sautant elle n'aurait pu éviter l'issue de cette chute, elle était trop loin pour cela.
La petite poussa un léger cri. Le piège était fermement refermé sur sa jambe.
Nitsa utilisé son pouvoir pour se transformer partiellement. Sautant de la branche sur laquelle elle se trouvait, elle atterrit sans difficultés à quelques mètres du piège. Redonnant à ses bras et ses jambes forme humaine, elle s'approcha de cette personne coincée dans une situation fort peu confortable. En s'approchant du corps, elle vit les traits d'un visage enfantin même si cette enfant la dépassait sans doute de plus d'une tête et demi. Elle regarda le piège. Elle en avait déjà vu plusieurs comme cela. Elle avait vu des animaux agonisaient dans ces pièges et n'avait rien fait la plupart du temps pour les aider si ce n'était les achever pour abréger leurs souffrances. Elle ne les liberait que si elle était certaine qu'ils puissent survivre, sinon elle n'aurait fait que prolonger leurs douleur et leur lente agonie. Du moins c'était ce quelle pensait. Elle avait agonisé comme ces animaux il y a bien longtemps. Elle avait été par la suite incapable de chasser et la plaie s'infectait. On l'avait trouvée et sauvée alors qu'elle était aux portes de la mort.
La petite près d'elle sanglotait et lui demandait de l'épargner. Nitsa haussa les épaules.
"Pourquoi devrais-je te tuer? Je n'en ai aucune utilité. De toute manière si je l'avais voulu, je ne t'aurais pas prévenue des pièges autour de nous."
La petite blonde n'était pas douée pour réconforter les personnes et ses paroles n'avaient pas dû rassurer l'enfant.
" Et puis je ne tue pas les gens. "
C'était tout ce qu'elle avait trouvé pour ne pas lui faire peur.
Elle posa ses mains sur le piège en face d'elle et commença à l'écarter afin de libérer la jambe de la fillette en face d'elle. Le piège s'ouvrait petit à petit. Les mains de Nitsa la brûlaient et les petites dents en acier lui rentraient dans la peau.
Après une bonne minute à forcer, elle finit par réussir à ouvrir entièrement la mâchoire et dégagea la jambe qui s'était retrouvée piégée dedans.
Regardant la blessure, Nitsa déclara:
"Eh bien, ce n'est pas joli à voir mais ça devrait aller si on désinfecte cela rapidement. "


C’était une bien belle surprise qu’elle eut en observant l’inconnue qui la regardait, nichée sur une branche en hauteur. Cette-dernière s’était entièrement transformée en une créature qu’Elriane n’avait encore jamais vue, et avait sauté gracieusement de son perchoir pour s’approcher de l’enfant. Elle va me tuer, je... qu’est-ce que je peux faire ? Si seulement je pouvais me défendre... Mais il n’y avait rien qui aurait pu lui donner ce genre de possibilités. Elle était retenue par cet étau douloureux qui lui mordait la cheville. Qu’était-elle supposée faire ? Prier, peut-être ? Elle-même n’en avait pas la moindre idée.
C’est alors que la créature reprit forme humaine et se mit à dévisager Elriane. Cependant, alors que l’enfant pensait que cette étrangère, pourtant plus petite qu’elle en taille, allait l’achever...
L’inconnue haussa les épaules d’un air neutre et la démentit. Elle ne tuait pas les gens ? N’était-ce pas pourtant le but de ce monde autour d’elle ? De tuer ? Car c’était ce qu’on lui avait toujours appris : le monde extérieur était constitué uniquement de chaos et de meurtres. Et si... Elriane envisagea, l’espace d’un instant, une possibilité effroyable qu’elle ne pourrait jamais supporter. Et si mes parents m’avaient toujours menti ?
Non, c’était tout bonnement impossible. C’était inconcevable. Sans doute la femme-animal devait-elle se jouer d’elle, pour pouvoir la prendre par surprise plus tard et l’attaquer lorsque sa garde serait baissée. Elle ne voyait que ça.
Pourtant, cette-dernière semblait emplie de bonté... En effet, elle lui libéra le pied en écartant de toutes ses forces les mâchoires de fer qui retenaient l’enfant prisonnière. Lorsqu’Elriane remarqua quelques gouttes de sang perler sur les mains de la fille, elle comprit qu’elle n’était pas mauvaise. Son instinct lui dictait que personne n’était vicieux au point de se faire du mal pour piéger quelqu’un... Surtout que « l’animal » aurait pu la tuer très facilement lorsque l’enfant était encore prise au piège. Alors, pour une fois... Elle décida de suivre son instinct. Ce ne sont pas mes parents qui avaient tort ! C’est juste elle qui est différente... Elle est peut-être comme moi ?
L’inconnue lui proposa de désinfecter la plaie, et Elriane ne put s’empêcher d’avoir un élan de gratitude à son égard. L’autre n’était vraiment pas une mauvaise personne... Si ? Lorsqu’elle baissa le regard vers sa jambe, elle put voir la plaie en question, et réprima de justesse une petite grimace de dégoût. Elle avait lu dans un livre que certaines blessures profondes pouvaient laisser des traces nommées « cicatrices », et ne doutait pas une seconde que celle-ci en laisserait une. Elle prit rapidement appui sur une branche de chêne qui semblait assez solide, car son pied droit était à présent bien invalide et elle avait peur de tomber. Elle releva timidement la tête vers l’inconnue, et répondit timidement :
- M... Merci. Et... Désolée.
Elle devait lui causer bien des soucis, à se reposer sur elle...


La fillette regarda la plaie sur son mollet puis se releva tant bien que mal à l'aide d'une bout de bois en chêne qui se trouvait par terre. Elle tourna la tête vers Nitsa et lui lança timidement :
"M... Merci. Et... Désolée."
La jeune fille aux cheveux blonds haussa les épaules et répondit simplement :
"Ce n'est rien. "
Elle s'avança vers la fillette qu'elle venait d'aider. Elle remarqua alors qu'elle était vraiment plus grande qu'elle. Pourtant son attitude n'avait rien à voir avec celui d'une adolescente et vu son manque de connaissances de la forêt, il était impensable pour Nitsa qu'elle ait pu y vivre ainsi une dizaine d'années. Mais peu importait son age, elle aurait le temps de lui poser la question plus tard.
"Je peux te porter sur mon dos jusqu'à chez moi. Là-bas je pourrais te soigner convenablement."
Sans attendre de réponse de sa part, elle se retourna et s'accroupit légèrement, même si avec sa petite taille, cela n'était pas réellement nécessaire. Elle attendit quelques instants avant de demander :
" Alors? "


Elle avait l’air si bienveillante... Ma méfiance disparaissait à une vitesse pour le moins extraordinaire, tandis que mon interlocutrice me regardait me lever avec difficulté. Ce serait périlleux, mais... Je marcherai. Il le fallait bien, après tout ; je n’avais pas réellement d’autre choix que de prendre sur moi. Pourtant, la jeune femme en face de moi s’accroupit et me proposa de me porter jusqu’à chez elle pour m’y soigner. Chez elle ? Voilà qui était surprenant. Je pensais toujours que mener quelqu’un à l’endroit où nous vivons revenait à dévoiler l’une de nos plus grandes faiblesses - ainsi je changeais d’endroit dès que mon endroit était découvert. Et pourtant...
J’acceptai la proposition et me dit porter. Malgré ma taille que j’avais appris être plus grande qu’ordinaire, mon poids était assez normal pour mon âge. Ainsi, j’espérai qu’elle n’ait aucun mal à me porter.
J’observai le jeune fille d’un œil neuf. J’hésitais entre la gratitude et la curiosité, deux sentiments qui bataillaient dans mon esprit pour savoir lequel était le plus adapté. Sans doute la gratitude, mais à trop remercier ça deviendrait juste lourd et répétitif... Alors j’optai pour la curiosité.
- Pourquoi est-ce que tu prends soin de moi ?, demandai-je après un instant de réflexion. Pourquoi est-ce que tu es si gentille ? J’ai toujours pensé que le monde extérieur était un monde de souffrance et de haine, et pourtant... Toi... Pourquoi ?
Je tournai légèrement la tête, par habitude, sans réellement pouvoir expliquer pourquoi je le faisais. Je n’avais jamais eu de raison pour faire ce geste... Mais je le faisais quand même. Étrange, non ?
Je concentrai mon attention sur ma sauveuse, et observai le moindre de ses gestes. Soudain, je m’exclamai :
- Je m’appelle Elriane. Et toi ?
Je voulais pouvoir appeler celle qui était gentille en ce monde par un nom, et non pas juste par « la fille ».